CORNWALL, Ontario – J’ai une histoire à vous raconter. Cette histoire n’a rien à voir avec l’auteur de ce récit, toutefois, je l’ai connu. Je suis donc dans l’obligation d’utiliser ses mains et sa mémoire pour jeter sur papier mon vécu. Comme vous le devinez, je ne suis plus de ce monde depuis 2016. J’aimerais tout de même vous donner un aperçu de ma vie, une vie pleine et heureuse que j’ai passée entièrement sur la rue Anthony à l’est de Cornwall.
C’est grâce à la générosité de M. John Lafave et de sa conjointe, Mme Emma Dionne, qu’un terrain est acheté à prix modique pour me loger. Un terrain juste pour moi! C’est sur ce lopin de terre privilégié que j’ai passé plus de 67 années.
Juste à y penser, j’ai des frissons de joie!
Autour de moi les maisons se construisaient et les familles se multipliaient.
Vous savez sans doute que l’expansion à l’est de Cornwall fut, en grande partie, causée par le déplacement de Canadiens français catholiques provenant du Québec. Ces braves et courageuses familles étaient à la recherche de communautés industrielles où étaient offerts des emplois plus payants.
Je dois vous dire que vers la fin des années 40, l’école primaire / élémentaire catholique Saint-Félix débordait. Le moment était opportun pour mon arrivée sur scène!
Grâce au travail remarquable de M. Lucien Leblanc, j’ai vu le jour au mois de septembre 1949. L’année d’après, plus précisément au mois de septembre 1950 je fus baptisée en prenant le nom de l’École primaire Sainte-Croix. En 1951 je suis bénie par Mgr R. Brodeur.
Sur la plaque de contreplaqué, finement ciselée, qui décorait le mur de mon entrée principale se lisait :
1950
ÉCOLE STE-CROIX
Albert Paquette, prés.
Nicholas Battista
Mathias Billard
Aurèle Giroux, sec. trés.
L. Leblanc, Architecte
J. Entwistle, Entreprenneur
Ce sont, en effet, les membres de ma famille!
M. Leblanc originaire de Montréal, membre éminent de l’Institut Royal d’Architecture du Canada vient s’établir à Ottawa. Ici, il ouvre son propre cabinet d’architecte. Il fait sa marque en conceptualisant certains pavillons de l’Université d’Ottawa dont l’École Normale, le salon de la faculté des Arts et la résidence étudiante de la faculté de Droit canonique que pour en mentionner quelques-unes. En 1948, M. Leblanc trace mes plans. En 1955, mon créateur s’installe à Cornwall et ouvre un nouveau cabinet avec ses deux fils – Jacques et Guy. De plus, la firme Leblanc Architectes, élabore les plans de plusieurs écoles à Cornwall dont Jean XXIII et l’école secondaire Sainte-Croix. Malheureusement, M. Lucien Leblanc est décédé à Cornwall le 17 juin 1966.
J’ai été gagnante en ayant été conceptualisée par un architecte aussi prestigieux!
Ce quartier à l’est de Cornwall ne cesse de grandir. J’ose même dire, avec humilité, que c’est à cause de moi qu’il se développe aussi rapidement. De plus, ma présence prévoit les possibilités de former une nouvelle paroisse. Eh oui, en 1954, le jour de Noël, ma soeur, l’église Sainte-Croix accueille les paroissiens pour la première fois. Cette messe de minuit annonce, non seulement la naissance de Jésus, mais aussi la naissance d’un nouveau peuple de Dieu. Elle est célébrée cérémonieusement par M. le curé F. Lefebvre.
Ce même M. le curé Lefebvre qui avait l’habitude, à différents moments de l’année, par exemple au temps de l’Halloween, de venir se balader dans mes corridors et dans mes classes pour rencontrer les élèves.
Il se présentait dans chaque classe avec son énorme sac de bonbons et ses deux chiens. Les élèves l’attendaient avec un sourire aux lèvres pour recevoir leur « kiss » de l’Halloween et de flatter les chiens qui étaient très bien portants. Les enfants se régalaient à cette occasion.
En 1950, au début de ma deuxième année, j’ai le grand plaisir d’accueillir, à bras ouverts, les Soeurs de Sainte-Croix. Une trentaine d’entre elles ont enseigné dans mes locaux.
En 1952, je suis fière de vous dire que je comptais 12 classes
Si ma mémoire est bonne, il me semble qu’aux environs de 1957, je peux me vanter que j’étais l’école primaire / élémentaire catholique avec le taux d’inscription le plus élevé dans la ville de Cornwall.
Ma population estudiantine était de 600 élèves répartie en 22 salles de classe.
Mon quartier, ma paroisse, vibrait d’énergie. Un quartier en pleine croissance!
En septembre 1970, 649 jeunes, soit 10% du total des inscriptions des écoles séparées de Cornwall, marchent dans mes corridors et prennent place dans mes classes. Sous la tutelle d’un personnel composé de 24 enseignantes et enseignants, mes élèves débutaient leur vie étudiants. Ma cousine La Nativité comptait 498 élèves.
En juin 2004, j’ai vécu une grande tristesse. Ma raison d’être venait de changer. Désormais, plus de petits pieds dans mes corridors et plus de rires d’enfants dans mes classes. Mes portes s’ouvraient maintenant pour desservir la communauté francophone de Cornwall. C’est sous mon toit qu’ont résidé le Centre culturel, la Société de généalogie Saint-Laurent, l’école des adultes et plusieurs de mes classes servaient comme lieu de rencontres.
En 2016, je suis vendu à un entrepreneur. Mon âge et l’usure étaient évidents et ma fin prévisible. J’avais vécu une belle vie et le temps était venu pour moi de céder ma place.
Depuis l’ouverture de mes portes, j’avais eu l’occasion d’être témoin de merveilleux moments de bonheur et aussi de nombreux instants de tristesse. J’ai observé des enfants souriants et d’autres versant des larmes. J’ai accueilli des enfants en bonne santé et d’autres affligés de maladies incurables. J’étais là quand mes jeunes affichaient un sourire radieux annonçant le succès et d’autres portant le lourd fardeau et la peine de l’échec. Ces expériences ne sont désormais que des souvenirs lointains et des échos affaiblis d’un passé prestigieux maintenant évanoui.
Samedi prochain, soit le 31 août 2019, au Centre civique de Cornwall, plusieurs de mes jeunes enfants maintenant devenus adultes se rencontreront, dans une ambiance amicale pour raconter leur propre histoire. Ce sera une occasion exceptionnelle et privilégiée qui ne se reproduira plus.
Mon passé d’institution scolaire sera célébré au présent, mais mon destin réside dans le coeur de ceux et celles qui m’ont fréquentée.